Thomas Waroquier, sculpteur a partagé des aventures artistiques avec Hervé Laplace. A l’occasion de l’exposition Fantaisies de printemps 20 au 30 mars 2025 à Paris, il m’a rendu visite, très ému par la nouvelle du décès soudain d’Hervé. Il lui propose ici un hommage.
Hervé Laplace, Alias René Apallec, Alias Herbot, alias tellement d’autres choses… Il faut déjà dire les choses comme elles sont : Hervé était un immense artiste. Un créateur inclassable, inépuisable, capable de bâtir un univers entier avec une paire de ciseaux, un bâton de colle et quelques vieux journaux.
Portrait d'Hervé Laplace par Thomas Waroquier, sculpteur

Un sourire intarissable accompagne une cigarette au coin de la bouche, un œil malicieux sous ses lunette rondes et une élégance rapiécée digne du Plasticien Chirurgien dont il revendique la formule.
Il y avait en lui du poète, du magicien, du bricoleur génial. Il travaillait vite, intensément, mais surtout, il travaillait juste.
Avec ses collages, ses visages recomposés, ses oiseaux découpés, ses champignons et ses cathédrales. Il a construit une œuvre d’une puissance rare, exigeante, drôle et profondément humaine.
Mais dire seulement cela, ce serait oublier tout ce qu’il était à côté de ses œuvres : un homme de camaraderie, de déguisement, de faux-semblants sincères. Il portait mille alias, tels des facettes, toutes plus brillantes les unes que les autres. Il se jouait des figures et des statuts, par goût du masque, mais sans jamais trahir le fond. C’est cette liberté-là qui chez lui m’a bouleversé.
Compagnonnage artistique
Je m’appelle Thomas, mais à l’atelier, et avec les amis, on m’appelle Bibiche. C’est mon vrai prénom, celui qu’Hervé m’a permis d’assumer. Bibiche-Pastiche, même, quand je signe dans ses pas des sculptures satiriques. Parce qu’avec lui, on avait le droit — et même le devoir — de ne pas se prendre au sérieux, sans jamais cesser d’être sérieux dans le travail. Il m’a donné cette liberté-là. Et plus encore : il m’a donné confiance, et m’a permis de devenir un artiste, comme lui.
Notre histoire commune commence par un appel inattendu : indicatif +596, la Martinique ! Il s’agissait d’organiser une exposition en hommage au grand Dr Hipolyte Morestin, l’inventeur de la chirurgie Maxillo Faciale, et Père des Gueules Cassées, ces blessés de guerre modernes, qui habitent nos créations, à Hervé et à moi, et dont nous nous efforçons de mettre en lumière la mémoire. C’est la petite ville de Basse-Pointe, sa ville natale, perchée tout au nord de l’île, sur la façade atlantique, qui souhaitait lui rendre un grand hommage, cent ans après sa mort. On part là-bas ensemble, un peu comme dans une aventure qu’on n’aurait pas écrite, mais qui, une fois vécue, semblait avoir toujours dû exister. Sur place, on découvre le pays, son histoire, grâce à Muriel Salpetrier, amoureux passionné de son île et capitaine de cette folle expédition. On rit beaucoup. On boit des ti-punchs. On parle de sculpture, de collage, d’Otto Dix, de Max Ernst, des guerres, des visages ravagés et des humanités fracassées.
J’ai eu le privilège de vivre ce moment rare avec Hervé, et cerise sur le gâteau, d’animer, à ses côtés un atelier de gravure et de collage pour les jeunes écoliers de Basse-Pointe. Hervé n’enseignait pas : il partageait. Généreux, spontané et rigolard, comme un clin d’oeil.
Le dernier jour, le conseil municipal ville nous offre des bouteilles de rhum — du bon, du JM. Comme Hervé ne peut pas les ramener, je me retrouve convoyeur de rhum par grand-père interposé, jusqu’à Toulouse. Un petit trafic joyeux, absurde, parfaitement à son image.
Puis vient le Covid. Long silence. Quelques appels. Et puis une nouvelle invitation, à Besançon cette fois, pour exposer au congrès national de chirurgiens maxillo-faciaux. Et là, c’est reparti : on remet le couvert, on rigole au milieu de docteurs et des vendeurs de bistouri, on discute d’art et de traumatologie, avec la même intensité, le même humour. Et moi, je découvre un Hervé un peu plus fatigué, un peu plus indécis aussi. Alors, de temps en temps, c’est moi qui l’encourage. Et ça change tout, parce que notre lien évolue, devient plus profond.
On se retrouve à Reims l’année suivante, pour un autre congrès, une autre aventure. Car Hervé, c’était ça, dès qu’il débarquait quelque part, on avait l’impression qu’il allait faire un braquage. Il semblait à tout moment, prêt à partir avec la caisse. Mais non. Il repartait avec quelques trésors de récup’, deux trois idées de collages, et une bouteille dans la valise. Et avec lui, c’était toujours une victoire. Parce qu’il avait su rire, faire rire, créer, transmettre. Parce qu’il avait, sans grands mots, pris sa revanche sur la morosité et les discours trop sérieux.
De la finesse, de la fantaisie, de la liberté en pied de nez à la gravité du monde
Un jour, on échange des œuvres. Il me donne un collage que j’ai mis à l’atelier qui m’accompagne dans mes créations. Et moi, je lui ai donné une petite sculpture. C’est peu, mais c’est immense. Parce qu’avec Hervé, tout était important. Tout comptait. Il y avait une intensité dans le dérisoire, une profondeur dans la rigolade. Il avait cette élégance de baroudeur un peu décoiffé, ce regard tendre et perçant à la fois. Il était un mentor discret, mais essentiel.
Aujourd’hui, il me manque. Terriblement. Et je crois qu’il manque à beaucoup, même à ceux qui ne connaissaient que ses œuvres. Parce que dans son travail, il y avait tout ce qu’il était : la finesse, la fantaisie, la liberté, et cette forme d’humanité rare qui vous donne envie de continuer, même quand c’est dur. Pas de posture, pas de cynisme, jamais. Juste un pied de nez à la gravité du monde. Et beaucoup d’amour, même quand il ne le disait pas.
Hervé était un colibri, oui. Un petit être vif, coloré, drôle, qui passait en coup de vent, mais qui, à sa manière, changeait le paysage. Il a touché ma vie, il a nourri mon art, il a forgé une part de ce que je suis. Et pour ça, merci, Herbot. Merci René. Merci Hervé, petit colibri facétieux.

Texte de Thomas Waroquier
Plaisir et émotion des découvertes artistiques