Artistes Actuels met en avant principalement l’art singulier, outsider ou expressionniste, et de temps à autre de la BD. Mais pour cela, il faut un chef d’œuvre… et c’est le cas avec la BD La route de Manu Larcenet d’après le roman, prix Pulitzer de la fiction en 2007, de l’écrivain Cormac McCarty.
Manu Larcenet a à son actif de très nombreuses réussites dont les deux BD dont nous avons déjà parlé, Blast et Le rapport de Brodeck. Par la gravité de l’histoire et le traitement graphique, La route s’inscrit dans la même lignée mais Manu Larcenet est ici à son apogée.
A la frontière du bien et du mal : référence à Goya ?
Dans des Etats-Unis dévastés par l’apocalypse et continuellement plongés dans un nuage de cendre, un père et son jeune fils marchent vers le sud. Pendant leur voyage, ils doivent éviter les hordes de cannibales car dans un monde où plus rien ne pousse, la chair humaine est devenue pour certains la solution pour survivre.
En permanence, Manu Larcenet nous emmène à la frontière du bien et du mal, frontière que le père et le fils essaient de ne pas franchir afin de garder leur part d’humanité.
Au détour d’une rencontre effrayante avec des personnes enfermées dans une cave, on croit voir la célèbre peinture de Francisco de Goya « Saturne dévorant un de ses fils ». Une chose est certaine, comme l’immense peintre espagnol, Manu Larcenet s’est confronté à l’horreur du cannibalisme.
Manu Larcenet a survécu à La route, et vous ?
Dans un entretien au Monde du 1er avril 2024, Manu Larcenet admet avoir survécu à La route avec beaucoup de difficultés : « J’ai passé un an et demi d’enfer à travailler sur cet album ».
Mais le résultat est bien là. La route est une œuvre majeure de Cormac Mc Carty et désormais de Manu Larcenet. Ce dernier, sans aucune narration et avec très peu de dialogues est parfaitement parvenu à restituer l’intensité du roman.
Ses illustrations subliment l’histoire. Pour ce qui est des couleurs, à l’exception des premières et des dernières planches qui sont en noir et blanc, toutes les planches sont en gris légèrement colorés.
Les subtiles jaune, vert, bleu, rose, violet ou rouge soulignent les différents moments de l’histoire et différencient les atmosphères. Il est rare de trouver une vraie polychromie dans cet album sauf dans les rares moments où Manu Larcenet montre des sodas ou autres aliments. Si Andy Warhol, maître du Pop Art, montrait le trop plein, Manu Larcenet nous montre le manque.
A de nombreuses reprises, Manu Larcenet rend hommage au travail de l’artiste Michel Nedjar et notamment à ses poupées. On retrouve dans certains dessins, les mêmes textures de tissus baignés dans la terre et le sang.
On ne sort pas indemne de « La route » de Manu Larcenet en raison de sa dureté et si on survit c’est grâce à l’humanité des deux personnages principaux.
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