La reconnaissance LGBTQI+ a monopolisé et monopolise encore toutes les énergies : Energies politiques, énergies juridiques et énergies militantes. Dans cette progression vers une reconnaissance complète, les artistes ont apporté une contribution déterminante. Nous vous faisons (re)découvrir 3 artistes visuels engagés qui ont pris leur part.
Pierre et Gilles : pour un monde parfait
Création à quatre mains
Cela fait quarante ans que le couple d’artistes français crée à quatre mains. « On s’est rencontré dans une fête, un soir, chez Kenzo (…) Depuis, on ne s’est jamais quitté. Et on a travaillé ensemble un an après » (in Pierre et Gilles Clair-Obscur, éditions Racine et Lannoo 2017).
Pierre est le photographe et Gilles le peintre. Avant de se rencontrer, ils étaient déjà artistes.
Mais en fait, dire que Pierre est le photographe et Gilles le peintre est simplifier la réalité de leur travail. Il serait plus exact de dire qu’ils créent ensemble des photographies peintes.
Scénographes artisans
Leur nom d’ailleurs « Pierre et Gilles » semble presque être le nom d’un personnage et non de deux personnes. Après tout, quand deux artistes travaillent et vivent ensemble, l’anonymat de ce troisième « personnage » est certainement bienvenu et permet de travailler sur la longue durée.
Pierre et Gilles travaillent selon une méthode bien rôdée. Dans une première phase, ils dessinent le concept (Pierre dessine, Gilles complète). Ensuite, ils constituent le décor. Pas un décor numérique mais un vrai décor fait d’objets, de faux ciel, de fausse herbe, de (vraies ou fausses ?) fleurs… après, ils s’occupent du costume, font des essais de lumière avec un mannequin puis se font aider d’un coiffeur et d’un maquilleur. Tout ce travail de préparation leur permet d’obtenir un rendu très sophistiqué.
Ce souci de sophistication aboutit à une idéalisation de leurs modèles. Idéalisation des corps, souvent nus ou partiellement dénudés, mais également idéalisation des visages. Sans ride, sans plis, sans contraction, les visages qui passent entre les mains des deux artistes sont toujours des visages parfaits. La plupart du temps, ils n’ont pas d’expression ce qui contribue à créer un sentiment de pleinitude, d’abandon voire de tristesse. Parfois, les visages peuvent sourire voire rire mais toujours d’un sourire ou d’un rire idéalisé. Les dents sont parfaites et blanches, comme un sourire d’éternelle jeunesse.
Cette idéalisation des modèles, ces décors parfaits et idylliques sont les caractéristiques du monde selon Pierre et Gilles. Certes les deux artistes savent que le monde est parfois difficile. Homosexuels, ils ont certainement eu à en subir la violence. La violence des autres mais également la violence de la maladie puisque bon nombre de leurs amis ou de leurs modèles sont morts des suites du sida. Ils ont approché cette maladie au travers de leur série « Les naufragés » réalisée dans les années 1985, 1986 et 1987. Ces jeunes hommes qui dorment sur des sols merveilleux sont un peu comme « Le dormeur du val » d’Arthur Rimbaud dont on comprend qu’il est mort alors qu’il semblait presque sourire.
Les idoles religieuses et musicales
Pierre et Gilles se sont beaucoup intéressés aux idoles : les idoles traditionnelles et religieuses, et les modernes, celles de la musique populaire.
Les portraits sont inspirés par l’iconographie chrétienne ou hindouiste, et celle des idoles pop françaises (Sylvie Vartan, Sheila, Indochine, Françoise Hardy…) ou internationales (Mick Jagger, Iggy Pop…). Parfois, ils associent les deux thématiques : « La Madone au cœur blessé » met en scène la chanteuse Lio en Madone.
Marie France et les autres
Une autre thématique très développée par Pierre et Gilles concerne le monde du genre et de la sexualité autre.
Ainsi, la chanteuse et actrice Marie France, née garçon à Alger en 1946 et devenue femme lorsqu’elle arrive à Paris en 1962, est une des muses (underground) les plus présente dans les créations de Pierre et Gilles. En effet, la première image de Marie France remonte à 1979 alors que la dernière la présente en Edith Piaf, « Dans le quartier Saint-François » en 2017.
De même, les deux artistes ont réalisé des séries de portraits de marins souvent torse nu comme dans « Vive la Marine », 1997 ou en marinière à commencer par le portrait du couturier Jean-Paul Gaultier.
Toujours dans le même esprit, Pierre et Gilles ont souvent photographié des personnalités LGBTQI+, les plus récentes étant la chanteuse et drag Queen Conchita Wurst dans » Crazy Love » en 2014 et le chanteur Eddy de Pretto en 2017.
Ils ont également mis en scène de nombreux couples homosexuels, à commencer par eux-mêmes, mais également « Les amoureux » en 1998 et « David et Jonathan » en 2005.
Incontestablement, Pierre et Gilles ont beaucoup fait pour l’acceptation de la diversité humaine.
Gilbert et George, performance et photomontage
Artistes plasticiens et performers, Gilbert et George travaillent ensemble en Angleterre depuis 1967.
Alors qu’ils étaient tous deux étudiants à la St Martins School of Art, leur rencontre fut un véritable coup de foudre. En couple depuis cette date, ils n’ont depuis jamais cessé de créer à deux. Ainsi est-il quasiment impossible de les voir l’un sans l’autre.
À leurs débuts, ils sont artistes de performances immortalisées par des séries de photographies.
Pour ces performances, ils s’habillent le plus souvent en costumes d’hommes d’affaires anglais, habits qui sont devenus pour eux un véritable uniforme. De cette époque, deux photos demeurent emblématiques, The Singing Sculpture, 1970 et Red Morning (Hate) 1977.
De la performance au photomontage
Progressivement, ils s’ouvrent aux photomontages colorés de grande dimension sans pour autant quitter le monde de la performance. Gilbert et George n’ont jamais véritablement cessé de se considérer comme deux “sculptures vivantes” formant ensemble un unique artiste.
La sexualité, la mort, le racisme, la violence sont des thèmes récurrents de leurs compositions colorées très influencées par le Pop Art. Ils n’hésitent pas également à jouer sur des effets comiques pour aborder des sujets graves. L’homosexualité est ainsi un sujet récurrent dans leurs créations pour des artistes qui déclarent qu’il faut “interdire la religion et décriminaliser le sexe”.
Ceux qui ont pour slogan “l’art pour tous” ont en permanence pris le pouls de la société anglaise. Ils ont ainsi travaillé sur les communautés qui se sont levées pour plus de droits et de liberté dans les années 70, sur le drame du Sida, sur les attentats terroristes de Londres de 2005 et de nombreux autres évènements ou tendances sociales qui secouent l’Angleterre.
Joan E. Biren, rendre visible
En juin 1969, à New-York la police effectue un raid dans le bar de Stonewall, lieu de rencontre de la communauté homosexuelle de la ville. Des émeutes spontanées ont alors lieu en réaction. Cet évènement est emblématique de la défense des droits LGBT aux Etats-Unis et dans le monde. Un an après, s’organisait la première marche des fiertés à New-York. D’autres villes prendront progressivement la suite dont Paris en 1977.
C’est dans ce contexte de naissance des mouvements LGBT que Joan E. Biren, dite JEB, s’interroge sur l’image de la femme lesbienne dans la photographie. Il s’agit de ce qu’elle appelle des « fausses lesbiennes », images photographiées et fantasmées par les hommes et pour les hommes.
Joan E. Biren, alors étudiante, s’improvise photographe autodidacte afin de donner des vraies images de femmes lesbiennes à la communauté lesbienne. Par cette démarche, JEB cherche à rendre visibles et fières les lesbiennes qui n’avaient pas de représentations d’elles mêmes.
Son travail se construit ainsi dans ce geste militant. A ses débuts, elle entame un tour des Etats-Unis afin de montrer ses photographies aux femmes qui souhaitent les voir. Son travail fait l’objet d’une publication dans le magazine de photographie “Aperture”, lui donnant ainsi une grande visibilité. Par la suite elle publie un livre Eye to Eye en 1979, récemment réédité chez Anthology Editions.
Une photographie militante
Avant de se considérer comme une artiste, Joan E. Biren s’est d’abord vue comme une militante lesbienne. Ce n’est qu’avec l’évolution de la société américaine qu’elle s’est progressivement considérée comme une artiste. Son travail de photographe se concentre sur des couples de femmes de façon souvent très émouvante et intimiste.
A l’occasion des 50 ans des émeutes de Stonewall, en 2019, huit évènements consacrés à son travail ont eu lieu aux Etats-Unis dont la présentation de 19 photos sur une façade de 2 mètres de haut, un projet initié par le Leslie-Lohman museum de New York.
“Je suis tellement contente et à la fois surprise aujourd’hui, car je ne suis pas le genre d’artiste dont on exposait le travail jusqu’à présent”
Joan E. Biren pour Jeanne magazine, magazine français 100% Lesbien . Article de Stéphanie Delon, juin 2019
Keith Haring, l’artiste à la carrière météore
L’artiste américain Keith Haring a réalisé sa première exposition personnelle en 1982 à New-York et est décédé en 1990, emporté par le sida. Sa dernière œuvre publique, une fresque sur une église de Pise, date de 1989.
Malgré cette très courte carrière, Keith Haring a profondément marqué l’art contemporain autant par son style « la griffe Haring » que par son engagement sociétal en dénonçant par exemple le racisme, l’apartheid, l’homophobie ou les ravages de la drogue. Ainsi, il fait de son art un moyen de lutte contre l’épidémie de crack qui sévit à l’époque à New-York « Crack is wack ». Cette œuvre réalisée initialement dans la clandestinité sur les murs d’un terrain de handball a été restaurée en 2007. Il a également peint pour promouvoir à l’usage du préservatif.
"La griffe Haring" immergée dans le monde
Le style Keith Haring correspond à des formes simplifiées cernées de noir et reproduites parfois en très grand nombre sur la même œuvre. Il s’agit de silhouettes, souvent androgynes, de chiens, bébés à quatre pattes, poste de télévision, dauphins, OVNI…
Ses formes humaines semblent danser, s’entremêler, s’entraider ou s’assembler telles les pièces d’un puzzle. Keith Haring a eu plusieurs sources d’inspiration : par exemple les gravures géantes du désert de Nazca au Pérou.
Comme Dubuffet ...
Mais l’’artiste était également fan de l’immense Jean Dubuffet et il y a en effet des similitudes entre les personnages de Keith Haring et le monde de l’Hourloupe et les paysages de la closerie Falbala.
ou comme les comics ...
Mais il y a bien évidemment également le monde des comics américains avec ses super héros aux positions presque dansées. Keith Haring utilise d’ailleurs les codes des comics en ayant recours aux traits pour signifier le mouvement ou la voix de ses personnages.
Un engagement gay omniprésent
Parce que le souhait de Keith haring était de rencontrer le plus large public possible, keith Haring s’est exprimé par le street-art et la fresque publique.
De même, il a décliné ses personnages sur de nombreux supports dérivés, tels que vêtements, livres, jeux ou posters.
Tout au long de sa carrière, un de ses thèmes de prédilection était l’homosexualité (Keith Haring était lui-même homosexuel) avec sa revendication, la lutte contre l’homophobie et à la fin de sa vie, la lutte contre le sida. Il a ainsi réalisé en février 1989 une immense fresque de 34 mètres à Barcelone « Todos juntos podemos de Parar el SIDA » (Ensemble, nous pouvons arrêter le sida) réalisée en à peine 5 heures.
Cette fresque a été peinte en traits rouges alors que le peintre s’exprimait habituellement en traits noirs. Keith Haring avait été diagnostiqué malade du sida depuis déjà un an. Il allait mourir une année après ce travail.
La rédaction
Plaisir et émotion des découvertes artistiques