Lors de l’exposition « La Fabuloserie » du 25 janvier au 25 août 2023, à la halle Saint Pierre, une oeuvre avait particulièrement capté notre regard : l’assemblée de pieux de TÔ Bich Haï. D’émotions en recherches, Artistes Actuels est allé à la rencontre de l’artiste dans son atelier.
De l’art classique vers l’art brut
A priori, un artiste de formation classique et académique développera un art éloigné de la spontanéité et de la fulgurance de l’art brut. Mais cela est un a priori et l’expérience nous apprend à nous en méfier.
Ainsi le cheminement de TÔ Bich Haï suit-il un étonnant retour aux sources vives. En effet, l’artiste est née dans le nord du Vietnam près de la frontière avec la Chine en 1947, au sein de l’ethnie Tay de culture orale et chamanique. Comme le pays était alors une colonie française, elle suit une formation imprégnée de culture française et de « Beaux-Arts » européens. A l’âge de 20 ans, elle quitte le Vietnam, arrive en Suisse dans un premier temps puis en France en 1968.
La première partie de sa production artistique s’inscrit alors dans les codes classiques. Bich Haï peint à l’huile des scènes à l’ambiance balthusienne. Ses tableaux ont alors pour sujet les enfants du village bourguignon où elle s’est établie. Puis un jour, les enfants grandissent et partent. Restent les jouets. TÔ Bich Haï entreprend alors une deuxième phase de son activité plastique : Elle restaure des poupées telles que les prestigieuses parisiennes Thuillier, Schmitt ou Jumeau. Elle sauve aussi les « Pauline » plus rustiques.
Cette passion l’amène à découvrir le travail du bois, plâtre, papier-mâché, cuir, chiffons, fils de fer ou crins…
Plongée en Art brut
Lorsqu’un violent problème de santé lui fait frôler la mort, sa vie bascule et sa création également. Dans un geste de vie instinctif et thérapeutique, elle crée deux poupées à l’esprit Art Brut, « Aspirine et Pénicilline » : ces deux poupées sont le réceptacle de son envie de vomir tous les médicaments. La lecture des notices raisonne alors pour elle comme des incantations.
Avec Aspirine et Pénicilline, elle réalise un retour fracassant aux traditions chamaniques de son enfance.
Depuis, Bich Haï intègre dans ses créations des éléments rejetés par la terre, la mer ou les flammes. Elle récolte ce qu’elle nomme des poussières de vie, remet des âmes en liberté en révélant des personnages.
Âmes errantes et poussières de vie
Transformation du pieu de vigne en un pieux personnage
Le piquet en acacia, bois très dur, reste fiché dans la terre pour soutenir la croissance et la production des vignes. Le bois vieillit, capte les fluctuations du temps : soleil, chaleur, pluie, froid, gel… Le piquet ferme et droit devient un pieu fatigué porteur des traces du temps. Fiché dans la terre, il en a aspiré l’humus et s’est imprégné du monde souterrain. Un jour, usé, il est rejeté pour être remplacé. C’est alors que Bich Haï le relève, le met à l’endroit, tête haute. : de simple pieu ne devient-il pas alors un pieux personnage ?
Pour TÔ Bich Haï, l’œuvre ou l’expression existe déjà, elle devine le personnage et l’aide à devenir visible en intervenant le moins possible. Quelques graines ou boutons lui suffisent pour allumer un éclair de vie, et quelques pigments pour habiller les âmes.
Dévoilement des histoires de pierre
Bich Haï retrouve dans les vieux pieux des vignes des esclaves trop longtemps enchaînés et des caractères humains.
Les vieilles pierres, aussi, lui parlent et la technique du frottage lui offre un oracle infini.
Elle applique du papier de soie sur les pierres de bâtiments anciens chargés d’histoire. Par frottage, elle obtient une trame sur laquelle elle brode des dessins à la mine de plomb.
TÔ Bich Haï a la capacité de voir ce que les autres ne voient pas et de dévoiler la force de l’invisible.
En art et comme dans sa vie avec l’Association de Soutien aux Orphelins du Vietnam, Bich Haï réanime les « poussières de vie » : [ https://assorv.fr/ ] L’association a créé 3 orphelinats pour les orphelins mendiants des rues.
Comme pour les graines, c’est en donnant une ambiance chaleureuse (de l’eau, de la nourriture et de l’amour) que les enfants recueillis deviennent des adultes responsables. Il en va de même pour les objets transformés en œuvres d’art.
Le travail de Bich Haï TÔ est représenté au musée La Halle Saint Pierre de Paris et à La Fabuloserie à Dicy en Bourgogne.
La rédaction
Plaisir et émotion des découvertes artistiques