Notre sujet n’est pas ici de parler de la BD comme du 9ième art. Cette appellation bien subjective n’est d’ailleurs pas connue en dehors du cercle de la BD francophone, puisque c’est le dessinateur belge Morris qui la proposa dans un numéro de Spirou de 1964.
Notre sujet est plutôt la relation toute particulière tissée par Bézian entre son univers BD et le monde de l’art moderne. Nous prendrons pour exemple trois de ses bandes dessinées que nous vous invitons à découvrir.
Un dessinateur BD admirateur de l'art de Bourdelle
“Bourdelle, le visiteur du soir” a été publié en 2010 aux éditions Paris-Musées
Une nuit, un homme vétu de noir s’introduit dans le musée Bourdelle et découvre, sans être vu, le monde d’Antoine Bourdelle revivre.
Il y a deux musées Antoine Bourdelle en France, l’un à Paris près de la gare Montparnasse et l’autre à Montauban, ville natale du grand artiste.
Bourdelle n’est évidemment pas aussi connu que Rodin qui éclipsa tous les sculpteurs et sculptrices de son époque mais c’est cependant un immense artiste pré-expressioniste.
Il a été également professeur d’art et a eu Germaine Richier et Alberto Giacometti comme élèves, rien que ça !
Album épuisé ! …
… Une BD à dénicher chez un bouquiniste ou sur un site d’achats d’occasion !
Bézian, ce grand dessinateur de BD, est certainement un admirateur de l’œuvre de Bourdelle. Cela se voit dans l’évocation du monde du maître. Bézian nous fait remonter le temps et nous découvrons, telle une petite souris (ou bien un visiteur du soir), Bourdelle discutant avec Rodin ou avec Giacometti.
C’est un album magique ! Attention, vous ne le trouverez plus en librairie car il est épuisé, il vous faudra le chercher sur Le bon coin, Ebay ou autre plateforme de vente d’occasion.
L'art et la science dans la folie des années 20
Bézian, art moderne et années de sciences folles !
Nous sommes en 1920 et des savants sont retrouvés morts. Ils avaient tous un point commun, ils s’interessaient à… la conquète spatiale !
” NON, les hommes qui pensent que l’on peut aller sur la lune ne sont pas des fous ! “ déclare Ferdinand Straub à son ami Eloi.
Straud est un ancien as de l’aviation française reconverti en détective et grâce à Bezian nous suivons ses aventures qu’il mène principalement avec son comparse Pascin.
Les deux héros de bande dessinées mènent l’enquête qui les conduira sur la piste du docteur Radar, un fou dangereux et génial « le premier à marcher sur la lune, ce sera moi ! Docteur Radar !! et de là haut, je bombarderai la terre ! je détruirai les villes et les pays jusqu’à ce qu’on me nomme DICTATEUR UNIVERSEL !! ».
Et en fin de ce premier tome, nous découvrons qui est véritablement le Docteur Radar !
L’histoire est haletante et se déroule à la vitesse d’une époque, les années 1920, qui va de plus en plus vite et qui cultive en toute chose le futurisme. Voitures, motos, trains, courses poursuites, tout est vitesse. Le dessin et les couleurs du formidable illustrateur qu’est Bézian sont incroyables.
Les personnages évoluent dans des décors aux perspectives déformées et aux éclairages nocturnes surprenants. Tout ceci accentue incroyablement leurs mouvements.
Les gestes, les contre-plans, les formes des corps et des visages, tout est époustouflant !
Des corps influencés par Bourdelle et l'avant-garde du Bahaus
Dans cette superbe BD, on retrouve les mains à la “Bourdelle”. Le dessin de Bézian s’inspire également des silhouettes de l’artiste germano-américain Lyonel Feininger comme dans sa série de peintures et dessin « Die Grüne Brücke » 1907-1909, ou bien dans « Fin de séance à la bourse de Paris » 1908.
Il faut savoir qu’avant de devenir un artiste de l’avant-garde allemande du Bauhaus, Feyninger a été dans les années 1890 un caricaturiste puis un dessinateur… de bandes dessinées pour enfants. De cette époque, il a gardé une capacité étonnante à rendre le mouvement dans ses tableaux par la déformation des silhouettes et des paysages urbains.
Bézian s’approprie tous les codes et l’ambiance de l’expressionisme allemand de l’entre deux guerres et les sublime par le mouvement grâce à cette superbe BD.
Le scénariste Simsolo de son côté contribue lui aussi à créer le mouvement avec une histoire qui défile à cent à l’heure. Pour notre plus grand plaisir, il crée avec beaucoup d’humour des personnages plein de démesure.
Simsolo est en fait un grand monsieur de la bande dessinée, du roman, du théâtre et du cinéma. Son métier de scénariste de cinéma transparait en permanence dans la narration de cette BD polar et d’aventures. Un vrai plaisir !
Un monde moderne grandiloquant
L’histoire de ce second album commence à Paris où Mariana, la maîtresse du docteur Radar, est enlevée alors que la police française la conduit à l’échafaud.
Mais le détective privé Ferdinand Straub ne s’y trompe pas. C’est bien évidemment le terrible docteur Radar qui a organisé l’enlèvement de Mariana en tuant au passage pas moins de trois personnes !
Ferdinand Straub se lance alors à la poursuite du maléfique docteur Radar et ce jusqu’en Italie qui subit alors les débuts du fascisme de Mussolini « … crétin de Mussolini ».
Le rythme est toujours aussi époustouflant. Les dessins de Bézian n’ont pas faiblis, ni même le scénario de Simsolo qui continue à jouer avec humour de la grandiloquence de certains personnages.
Grand méchant, crapules, détective, diva, journaliste américaine… toutes et tous surjouent leurs personnage dans une ambiance années folles et on s’en délecte.
Bezian et Simsolo continuent de mettre en scène l’art et les artistes comme dans cette truculente rencontre entre le héro Ferdinand Straub et le peintre et dessinateur surréaliste Francis Picabia.
Ce dernier, qui selon la légende avait eu 127 voitures dans sa vie, prête au détective sa Mercer rouge, une voiture de sport américaine qui « fait du 120 à l’heure ». Grâce à cette superbe voiture, Ferdinand Straub parvient à rejoindre l’Italie en un temps record malgré les grèves des transports qui paralysent le pays. On voit littéralement voler la voiture en pleine nuit au dessus des vignes italiennes!
En Italie, il y rencontrera la Diva Rebacca et le cinéaste Tassone qui tourne une scène d’un film dont les décors sont directement inspirés du cinéma expressioniste allemand comme dans « Le cabinet du docteur Caligari » de Robert Wiene ou dans le génial « M le Maudit » de Fritz Lang.
Comme dans le volume 1, les couleurs sont splendides, elles sont toujours signées Bézian qui est décidemment un illustrateur remarquable. L’histoire se termine par la fuite du Docteur Radar ce qui laisse possible la perspective d’un volume 3 ! Espérons que cela soit le cas !
Univers DB et art de Bauhaus
" Le courant d’art " a été publié en 2015 aux éditions Noctanbule
Prouesse de dessinateur BD : faire le lien entre le mathèmaticien Byrne et le peintre Mondrian (et tous les artistes du BAUHAUS !)
Ce livre en accordéon se lit en recto et en verso. Est-il une bande dessinée ou un livre d’art ? Comme toujours avec Bézian, on navigue entre BD et art moderne.
En lecture recto : on passe de l’univers du mathématicien Byrne, à celui du peintre Mondrian.
En lecture verso : on passe de Mondrian à Byrne
La plupart du temps, les dessins sont en pleine page et lorsqu’il y a des cases, elles correspondent au déroulement d’une même scène mélangeant unité de lieu et de temps avec une narration chronologique.
On trouve de tels découpages dans certains mangas. Ce procédé est étrange… comme l’est cet ouvrage qui fait le lien entre le mathématicien Byrne et l’artiste Mondrian (et tous les artistes du BAUHAUS… on y retrouve d’ailleurs Lyonel Feininger !), et vice et versa, selon qu’on le lit en recto ou en verso.
On pourrait dire que Le courant d’art est une bande dessinée… d’art. Un objet unique avec illustrations fabuleuses et couleurs éclatantes du grand artiste Bézian.
La rédaction
Plaisir et émotion des découvertes artistiques