Lionel Papagalli, dit Alfred, est un des grands auteurs et illustrateur de bande dessinées en France.
Très connu pour son album Come Prima édité chez Delcourt et fauve d’or au festival d’Angoulême de 2014 (BD autobiographique ?), il en a écrit beaucoup d’autres, tous très réussis.
Nous avons choisi de vous présenter deux bandes dessinées d’Alfred. Je mourrai pas gibier, paru en 2009 et Le désespoir du singe paru en 2016, tous deux chez la maison d’éditions Delcourt. Deux bandes dessinées parmi les meilleures de cet auteur qui compte décidément parmi les grands auteurs de la BD francophone.
Alfred adapte le roman de Guillaume Guéraud en BD
Le scénario
Je mourrai pas gibier, est une adaptation en bande dessinée du roman de Guillaume Guéraud écrit en 2006 et paru aux éditions du Rouergue, collection doAdo.
Il retrace l’histoire d’un adolescent qui devient le meurtrier de sa famille le jour du mariage de son frère.
« A la base, ça devait être une fête, vu que c’était le mariage de mon frère. Mais une fête à Mortagne, on ne sait jamais bien ce que ça veut dire. »
Des traits expressifs et cabossés
Il n’y a dans le roman de Guillaume Guéraud aucun espoir. Il n’y a dans les dessins de la bande dessinée d’Alfred que de la misère sociale, des vies dénués de sens et de la violence.
Ainsi, à l’exception de l’adolescent (personnage principal de l’histoire) qui a les traits ronds, tous les personnages ont des visages aux traits expressifs, cabossés par la misère et par la haine.
Et lorsque l’adolescent, sous le choc de la mort de son ami Terence, se renferme sur lui-même, alors le trait d’Alfred devient encore plus haché, brutal, et excessif.
Scènes en crayonné noir
Le dessin d’Alfred rend parfaitement l’intensité dramatique de l’histoire, une intensité dramatique qui enfle jusqu’à l’explosion, froide et dénuée de sentiments.
Ainsi, lorsque le héros rejoint la fête de famille, il est dessiné comme dans un état second, quasi-hypnotique. Ses yeux sont fermés ou sans expression, sa bouche disparait. Il n’a plus rien à dire. De même, alors que la BD est en couleur (couleur d’Henri Meunier), dans les situations les plus extrêmes, Alfred dessine certaines scènes en crayonné noir, à peine travaillées. Comme un premier jet spontané, inabouti et violent.
« Je mourrai pas gibier » est une BD brute au service d’un texte sans concession sur la haine et la violence sociale.
"Le désespoir du singe", un bijou expressioniste
Cette bande dessinée est tout à la fois une superbe histoire d’amour à trois et une aventure palpitante et terrifiante. Dans sa version initiale, « Le désespoir du singe » est paru en trois tomes : 1- la nuit des lucioles, 2- Le désert d’épaves, 3- Le dernier vœu.
Une version intégrale collector
Mais c’est dans sa version intégrale que nous vous conseillons cette BD, une version collector pour votre bédéthèque. Elle bénéficie d’une très belle couverture ainsi que de suppléments.
Le scénariste de cette bande dessinée est Jean-Philippe Peyraud, le travail des deux auteurs est admirable. Les couleurs sont somptueuses, elles sont réalisées par Delf.
Narration, couleurs et dessins, tout est parfait
L’histoire se déroule sur les bords d’une mer intérieure en voie d’assèchement. Le pouvoir est aux mains d’une police militaire dirigée par l’effrayant colonel Komack et ses hommes qui n’ont rien d’humains. Après un attentat perpétré par les résistants francs-battants, la répression monte encore d’un cran. Josef et Edith, deux des trois héros, décident de fuir avant qu’il ne soit trop tard.
» Le temps n’est plus à la réflexion, Josef. Plus du tout «
Des visages caricaturés, des perspectives faussées
On retrouve les codes de l’univers BD expressionniste d’Alfred servis par l’éblouissante narration de Jean-Philippe Peyraud. En effet, les dessins d’Alfred sont comme à son habitude excessifs et tourmentés. Tous ces ingrédients sont au service d’une histoire dramatique dont on perçoit qu’elle ne pourra pas bien se terminer.
En permanence, Alfred sait insuffler à cette BD la folie, la fureur et la peur. Pour cela il n’hésite pas à caricaturer dramatiquement leurs expressions voire à les priver de toute émotion. Ainsi le colonel Komack apparait dénué de tout sentiment, ce qui le rend encore plus effrayant.
Les paysages et bâtiments sont quant à eux réalisées avec des perspectives faussées. Tout semble parfois mouvant, instable rappelant le travail sur la perspective du peintre germano-américain Lyonel Feininger. Alfred jongle avec brio avec les proportions faisant du train du colonel Komack une machine immense aussi effrayante que son occupant. De même, les bateaux échoués dans la mer asséchée sont gigantesques et torturés.
Pour servir son histoire, Alfred utilise également plusieurs formes des bulles. Le plus souvent, elles sont approximativement rectangulaires ou rondes. Mais elles prennent également la forme d’étoiles à multiples branches qui explosent sous le regard du lecteur.
L’atmosphère angoissante de la BD est également soulignée par les dominantes de couleurs qui évoluent selon les moments du récit.
Les couleurs de cet album ont en effet été magnifiées par le travail du coloriste Delf. Les scènes de violence sont souvent en dominantes rouges alors que la froideur du lac asséché est rendue par des couleurs bleues.
Cette BD est le résultat d’un travail d’une équipe de trois très grands professionnels. A n’en pas douter « Le désespoir du singe » est une œuvre majeure d’Alfred.
La rédaction
Plaisir et émotion des découvertes artistiques