Auteur-illustrateur, David Sala évolue entre albums jeunesse et BD. Dans chacun de ces deux univers, il a su créer de vrais bijoux.
Artistes Actuels a déjà mis en avant sa bande-dessinée « Le joueur d’échecs » d’après l’œuvre de Stefan Zweig [lire l’article]
Aujourd’hui, coup de projecteur sur sa dernière BD « Le poids des héros » publiée par les éditions Casterman.
David Sala rend hommage à ses deux grands-pères espagnols qui ont échappé de nombreuses fois à la mort. Il s’essaie ici au récit autobiographique à l’ombre de la grande Histoire.
Une BD qui porte un violent coup de vent de couleurs
Ouvrir « Le poids des héros », c’est comme ouvrir une fenêtre et ressentir un violent coup de vent de couleurs.
Pourtant à ses débuts, ce n’était pas la couleur qu’il avait choisie …
En effet, David Sala commence sa carrière d’illustrateur avec de belles créations d’un style sombre et réaliste. Ce fut par exemple le cas avec « Replay » sorti en 2000 chez Casterman avec le scénariste argentin Jorge Zentner.
Mais en 2010, David Sala se lance dans l’aventure du livre jeunesse avec « La colère de Banshee » toujours chez Casterman.
Lire aussi : « Le jour d’échecs » par David Sala
Grâce aux albums jeunesse, nouvelle carrière et vent de liberté !
» Mes premiers livres tendaient vers le réalisme et je me suis aperçu que je perdais ma liberté. Les albums jeunesse m’ont permis de démarrer une nouvelle carrière. «
Dans « Le poids des héros », l’auteur évoque ce tournant professionnel lorsqu’il explique à sa mère : « J’ai envie de tout foutre à la poubelle en ce moment ! Je ne sais pas… Changer de direction, aller voir ailleurs, ouvrir les fenêtres. » (voir les 2 cases du haut de la planche 150)
Grâce aux albums jeunesse, David Sala s’autorise une utilisation nouvelle et libre de la couleur
» J’ai supprimé les ombres portées qui m’apportaient un réalisme dont je souhaitais m’éloigner, cela m’a ouvert des portes, donné plus de liberté. La technique des aplats de couleurs me permet de me focaliser sur l’émotion de la couleur «
Au fil de ses albums jeunesse, on découvre des sols, des arbres, des feuilles, des étangs, des cours d’eau, des vêtements, des intérieurs d’une grande beauté comme parfois sortis des tableaux de Gustav Klimt. Cette maîtrise de la couleur patiemment apprise, David Sala avait déjà su l’utiliser merveilleusement en BD avec « Le joueur d’échecs » et c’est à nouveau le cas ici avec « Le poids des héros ».
« Certaines scènes du « Poids des héros » sont plus expérimentales. Comment raconter l’horreur des camps ? Cette période nous a été transmise en noir et blanc. La couleur m’a permis de me rapprocher de l’évènement »
Le rose pour exprimer un massacre ou un charnier
Le magenta (ou fuschia ou encore rose indien) n’est-il pas la couleur sucrée de la joie, de la gaité et de la vivacité ? Ce rose ne fait pas partie du spectre lumineux mais il affirme les volumes en attirant la lumière.
David Sala l’emploie comme fond de scènes d’extrêmes violences. Un déporté prisonnier de fils barbelés (est-il déjà mort ?), deux soldats qui massacrent un homme nu, une multitude de corps qui émergent d’un charnier…
Le jaune pour exprimer la souffrance
Le jaune n’est-il pas la couleur de la vie et de la lumière ? David Sala l’emploie pour le sol d’une scène de pendaison de son grand-père maternel ou pour son visage grimaçant sous l’effet de la douleur.
Les couleurs rythment les histoires de ces deux héros. La scène où son grand-père paternel parvient à échapper aux SS est une course effrénée qui commence dans le vert de la forêt, puis le rouge des ronces pour se terminer, la page tout juste tournée, par une claque de bleu, le bleu de la liberté !
Avec une superbe maitrise des mouvements et des couleurs, la course vers la liberté se résume en quelques cases dans un enchaînement époustouflant.
« Est-ce que les couleurs sont figées dans leur signification ? je ne le pense pas. Je me suis aperçu que placées dans un autre contexte, elles prenaient soudainement une toute autre signification, une autre force »
Lire aussi : « Le jour d’échecs » par David Sala
Bande dessinée autobiographique mais pas un documentaire
« Je me suis dit que je devais parler de moi et pas directement de mes grands-parents et ça m’a ouvert d’autres portes »
Avec cette BD autobiographique, David Sala a délibérément choisi de ne pas travailler à partir de documents. Ses souvenirs sont la base de son récit : C’est le David de 8 ans, de 15 ans, de 22 ans ou de 35 ans qui raconte avec les incertitudes liées au souvenir des émotions.
Seuls quelques très rares éléments factuels demeurent. Il en est ainsi du tableau qui représente son grand-père maternel ou bien du film en caméra super-8 sur son grand-père paternel, film que David Sala a pris lorsqu’il était jeune adulte.
« Ce film que j’ai pris de lui est le seul témoignage direct que j’ai de mon grand-père paternel »
Avec « Le poids des héros », David Sala porte son art d’auteur, d’illustrateur et de coloriste très haut. Pour conclure, il nous confie :
« Plus j’avance, plus je m’aperçois que c’est difficile de dessiner parce que mon niveau d’exigence augmente avec le temps »
La rédaction
Plaisir et émotion des découvertes artistiques